mardi 25 juin 2013

réchoupiller



Ma mère, originaire du nord-est de la France, employait le verbe réchoupiller. "Cela va nous réchoupiller !", déclarait-elle avec les signes avant-coureurs d'un bien-être partant de la plante des pieds et courant jusqu'à la racine des cheveux. Prononcer le verbe était magique et faisait s'épanouir un sourire dans l'air. Parmi les situations les plus réchoupillantes, boire du champagne était sans conteste la plus imparable. Mais nous n'en abusions pas, nous contentant souvent d'un simple verre de quintonine.




samedi 22 juin 2013

rencontre avec l'auteur



"On dit que Machiavel se préparait parfois à lire
en revêtant des habits de l'époque de l'auteur
dont il lisait l'oeuvre, puis qu'il dressait une table
pour deux. Tel était le signe de son respect
pour le cadeau fait par l'auteur, et peut-être
un signe de la compréhension tacite de Machiavel
du sens de la rencontre."

[Proust et le calamar, de Maryanne Wolf]




mardi 18 juin 2013

écoute !

Ce matin je me suis réveillée à l'heure de pointe dans le métro. Je n'étais pas seule, mais un peu quand même. Les autres personnes ne semblaient pas étonnées d'être là. Les uns regardaient un petit journal de papier, les autres l'écran d'une petite machine. Certains, épuisés, dormaient dans la lumière blanche. Il y avait derrière tout cela ce léger bruit, comme un chant d'oiseau.



dimanche 16 juin 2013

le potager



Chaque matin de la semaine, je passe devant le potager. C'est un potager exilé au coeur de la ville, sur un coteau de jardin public. Le vieux monsieur qui s'en occupe amoureusement porte une moustache, et une salopette bleue. Le potager est entouré d'un grillage et son entrée est fermée à clef. Le vieux monsieur cultive aussi des roses. Je lui ai lancé, à travers le grillage : "Il est beau votre jardin !". Il a souri, baissé les yeux et bredouillé, parlé de la pluie et du mauvais temps. Puis, nous nous sommes souhaité bonne journée. J'ai continué de descendre l'escalier et rejoint le bitume de l'avenue sur lequel poussent les voitures.

lundi 10 juin 2013

le mystère Naima

Un collègue de travail cherchant à partager les frais d'un professeur particulier de saxophone, c'est ainsi que je m'étais retrouvée à jouer de l'instrument dans une cave avec un petit groupe. Le musicien qui avait la patience de nous initier à son art nous confia qu'un jour, ayant entendu John Coltrane jouer Naima, il avait tout quitté pour suivre ces quelques notes de musique et devenir saxophoniste. J'avais été très impressionnée, et surprise quand il avait proposé aux pauvres néophytes que nous étions de jouer le morceau. Que nous le massacrions allègrement ne semblait entamer en rien sa magie. Nos fausses notes, curieusement, et notre application maladroite, semblaient autant d'hommages que Naima embrassait dans son mystère.





vendredi 7 juin 2013

quinte et quintette

La dame s'est levée le plus discrètement possible et s'est dirigée vers la sortie de secours. Le violon continua de violoner, le piano de pianoner, le public de publiquer religieusement. Une fois la porte de secours refermée derrière la dame, on entendit résonner les violentes quintes de toux qu'elle pensait inaudibles depuis la petite salle de concert. Elle toussa de tout son coeur pendant quelques minutes, se forçant même un petit peu pour faire sortir les dernières quintes qui se cachaient au fond de sa gorge, puis elle revint le plus silencieusement possible à sa place, un sourire de satisfaction sur les lèvres. [tableau de Benjamin Eugène Fichel, 1873]