"Montparnasse était une tour de Babel édifiée sous l’empire d’une vision collective, durable et tout à fait insolite de la vie.[…] Des affranchis, voilà le terme exact. Des philosophes communiant dans une même disponibilité, une même sensation d’émerveillement devant la découverte que tous ils avaient faite et qui, l’un après l’autre, les acheminait, les guidait vers ce paradis à défricher, cette nouvelle terre promise ; devant cette découverte que la vie est inexprimablement simple, non pas élémentaire mais tout à coup miraculeusement limpide. Chacun de ces hommes venus des quatre coins du monde avait eu ce jour-là la même vision — sans effort, sans qu’il y soit préparé, la vie lui était apparue nue et cette révélation l’avait à tout jamais transformé, donnant à sa sensibilité, à son intelligence une orientation nouvelle. Et qu’est-ce que la vie nue ? Bien sûr la vie non habillée, nette de tout maquillage, de toute déformation, non pas moins captivante ou moins dramatique mais à l’état brut, absolument différente et je dis bien simple, d’une simplicité aveuglante, presque insoutenable. Voilà le grand secret… […] Je portais autour de moi les yeux […] L’homme se tenait à une distance incommensurable de lui-même et passait toute son existence à effacer jusqu’aux moindres traces du chemin qui l’aurait mené à la vérité. Toute cette peine qu’il se donnait, ce sérieux surtout qu’il mettait à remplir les jours, les heures, les minutes qui le séparaient de la mort de la même manière qu’un enfant remplit une page de jambages et de bâtons, cette impossibilité où il était de s’arrêter, de se voir, de se voir non pas métaphysiquement, avec le microscope de la conscience mais comme il voyait, comme il regardait une fleur, un oiseau qui vole, l’eau courante d’une rivière ; cet arsenal de lois qu’il portait avec lui et dont il s’affublait, cette fatale dépendance à l’égard de l’habitude, ce pas d’esclave, cette peur qu’il nommait raison, ce souci de la possession, cette crainte du jugement d’autrui, cet inlassable calcul, tout cela c’était l’homme et ce n’était pas lui."
Pierre Minet. La défaite (Allia)
... "la vie nue", celle de l'éclat, seul.
RépondreSupprimerIl est bien intéressant, ce personnage. On a envie d'en connaître plus.
RépondreSupprimerAllia ? J'ai donc une chance que ce soit un texte court...
A bientôt, Kitty.